Rachel Truchot
« j’ai beaucoup appris à bidouiller et à me débrouiller sans trop de matériel, transformant des bombes lacrymogènes en sténopés. Chaque image capturée devient une métaphore visuelle émouvante.Il s’agit d’une invitation à redéfinir notre rapport aux artefacts chargés d’histoire et de symbolisme négatif, à trouver la beauté dans l’improbable, mais aussi à plonger dans une dimension où l’art et la transformation s’entrelacent de manière provocante.»
RT : Peux-tu te présenter en quelques mots ?
EP : Je suis Emilia Pesty, artiste designer franco-mexicaine. Mon parcours a commencé par un DNMADE en graphisme Texture Recherche et Prospective au Lycée Jean Pierre Vernant, puis j’ai poursuivi en DSAA DCN à Estienne.
RT : De quelle année es-tu diplômée du DCN ? Quel était ton sujet de mémoire ? Présente-nous rapidement ton parcours depuis que tu es partie d’Estienne.
EP : J’ai été diplômée du DCN en 2023. Mon sujet de mémoire portait sur L’image latente, en explorant l’inattendu en photographie, qu’elle soit tangible, par révélation chimique par exemple, ou numérique. Après mon diplôme en septembre, je me suis lancée en freelance, au début beaucoup dans le design graphique puis je me suis peu à peu éloignée du design pour me diriger davantage vers une pratique artistique. J’ai commencé à vendre mes créations, telles que des peintures, des céramiques ou encore des affiches. Au fil de l’année, j’ai également développé une autre activité : j’interviens dans la médiation culturelle pour des musées et galeries (Galerie Perrotin, Musée de l’Illustration Jeunesse, Musée du Jeu de Paume, Bourse du Commerce, Fondation Carmignac entre autres) sur les réseaux sociaux, comme TikTok, Instagram ou YouTube. Je travaille avec une agence d’influence spécialisée dans le milieu culturel, ce qui me permet de compléter mes revenus en réalisant, par exemple, des vidéos sur YouTube ou TikTok pour des musées. Pendant mes études, j’avais aussi un job étudiant à Estienne, que j’ai quitté après l’obtention de mon diplôme pour me consacrer à mon travail et ma pratique. Aujourd’hui, je me définis surtout comme une artiste freelance, mais aussi comme designer et créatrice de contenu dans le milieu culturel.
RT : Est-ce que tu pourrais décrire ce que t’a apporté la formation DCN, ce qu’elle t’a permis de découvrir ?
EP : La formation DCN m’a d’abord appris à travailler en équipe. Avant, en design graphique, chacun bossait de son côté, on n’avait pas forcément cette dynamique collective. Ensuite, j’ai beaucoup appris à bidouiller et à me débrouiller sans trop de matériel. Un autre point essentiel, c’est l’aisance à l’oral. Il y avait beaucoup de présentations à faire, et ça m’a vraiment aidée à mieux parler de mon travail. Enfin, grâce aux workshops et aux échanges, j’ai appris à « réseauter », et surtout à me mettre en avant : savoir présenter et « vendre » mon travail.
RT : Recommanderais-tu un sujet ou une technologie à explorer à l’avenir, que ce soit pour une pratique personnelle ou domaine de création ?
EP : Je pense que la 3D est vraiment ultra importante. Elle devrait être encore plus mise en avant et approfondie dans la formation, parce que c’est une compétence clé aujourd’hui qui est beaucoup recherchée. Ça me permet aujourd’hui à titre personnel de fabriquer des moules pour la céramique ou pour mes bijoux. Or les heures en DCN, par exemple une séance de 4h le vendredi matin, ne sont pas forcément bien repérées. Ce serait aussi intéressant d’aller plus loin sur les aspects théoriques liés au numérique, et d’encourager à développer sa culture personnelle dans ce domaine. En ce qui concerne les recherches, je n’ai pas forcément une idée précise, mais peut-être creuser la relation entre les réseaux sociaux et la manière dont un artiste partage son travail.
RT : Quelle est ta vision sur la création numérique ?
EP : Pour le moment je vois la création numérique pour ma pratique plutôt comme un outil.
RT : Peux-tu nous parler du projet que tu voulais nous présenter ? Quel domaine aborde-t-il ?
EP : Je vais vous présenter, « Lueur Révolutionnaire : le Sténopé Lacrymo » transformant des bombes lacrymogènes en sténopés, chaque image capturée devient une métaphore visuelle émouvante. Il s’agit d’une invitation à redéfinir notre rapport aux artefacts chargés d’histoire et de symbolisme négatif, à trouver la beauté dans l’improbable, mais aussi à plonger dans une dimension où l’art et la transformation s’entrelacent de manière provocante. À travers cette série photo, j’interroge l’aptitude de l’art à transcender les réalités sombres et à susciter des conversations critiques. Un projet réalisé à la suite de mon mémoire de DSAA publié dans le numéro 8 (sur les artefacts) de la revue Miam Édition.
RT : Qu’est-ce que tu retiens de ton passage à Estienne ? Est-ce que l’esprit DCN te porte encore aujourd’hui ?
EP : Mon passage à Estienne, c’était pendant la période des manifs, donc les cours étaient souvent perturbés par les grèves. Mais ce qui m’a beaucoup apporté, c’est le travail en équipe. Je suis encore amie avec des gens de ma promo. Par contre, certaines hiérarchies de classe m’ont un peu gênée (comme les grandes salles lumineuses chez les DSAA DSC face à nous, le labo pour nous autres, et parfois le manque de matériel). Il y avait aussi une approche un peu trop académique à Estienne, en contradiction avec la liberté des DCN. Ça fonctionnait bien dans la filière, mais pas toujours avec l’école. Le fait de devoir avoir un mot pour demander du papier par exemple. Mais je pense que c’est un peu un problème commun à d’autres écoles de design. Le fait d’avoir été à Estienne m’a quand même beaucoup aidée à me vendre, puisque c’est très reconnu. Je ne sais pas trop si « l’esprit DCN me porte », pas trop ce que ça veut dire. J’ai gardé le côté bidouilleur. Mais maintenant, je travaille plutôt seule, même si j’ai quelques projets de création en groupe (notamment avec une personne de ma promo : Melissa Bertide).
RT : Des recommandations (artiste, œuvre…) ?
EP J’ai pas forcément d’idée qui me vient, surtout que j’ai voyagé ces derniers temps et donc je n’ai pas fait beaucoup d’expositions en France. Si, je recommande l’expo photo au Jeu de Paume avec Tina Barney et Chantal Akerman. Akerman avait une salle dédiée aux archives, ce qui est vraiment intéressant.
Dans ma promo, un groupe travaillait justement sur les archives, et ça rejoint bien l’esprit du DCN. Et je peux recommander l’expo « En tout simplicité » au Musée de L’illustration Jeunesse à Moulins pour laquelle j’ai travaillé cette semaine. Elle présente le travail de l’illustrateur Dick Bruna, auteur de la fameuse lapine Miffy, l’expo possède une scénographie bien particulière et revient sur le processus de création de l’illustrateur.
Un entretien avec Emilia Pesty par Rachel Truchot
14/01/25
